Sophie Deraspe en entrevue
La nouvelle production originale de Séries Plus nous plonge en plein cœur d’une tragédie, alors qu’un adolescent pose un geste inattendu et terrible… Afin de mieux s’imprégner de l’univers de l’émission Bête noire, on a discuté avec sa réalisatrice, Sophie Deraspe.
Sophie, Bête noire est votre première série en tant que réalisatrice! Pourquoi avoir choisi cette émission, plutôt qu’une autre, pour faire vos premiers pas au petit écran et comment s’est déroulée votre expérience?
La série télé m’intéressait déjà. Depuis quelques années, je vois de la très, très bonne série télé. J’y vois une façon d’y faire du cinéma, mais avec une profondeur sur le plan de la durée qui permet d’approfondir des personnages et des histoires. Sur le plan du récit et du langage cinématographique, ça m’intéressait totalement! Quand j’ai reçu le texte de Bête noire, je rencontrais non seulement cette envie de faire de la télé, mais aussi un texte avec de la matière riche. Je me suis dit : «Ah ça, c’est pour moi»! J’ai rencontré les producteurs et les auteurs, en leur disant : «Je veux le faire!» (rires) On avait un sujet ambitieux, mais on nous offrait de bons moyens de le faire.
Bête noire présente un sujet lourd et difficile, une fusillade dans une école… Dans quel état d’esprit doit-on se mettre?
Pour moi, le cinéma et la télé appellent à l’empathie. Je pense qu’on se met dans une position de grande ouverture, de justesse, de sincérité. En même temps, on ne peut pas juste faire notre travail comme un automatisme. Il y a quelque chose de tellement plus grand que nous qu’on a à transporter en termes de tragédie. Il n’y avait pas une ambiance de dépression du tout sur le plateau, au contraire! Autant les comédiens que l’équipe technique, on était tous très portés à faire quelque chose de qualité, de juste. Mais on se met au service de ces personnages et de ce qu’ils vivent.
Et comment aborde-t-on un sujet lourd et tragique comme celui-ci, dans la période actuelle, spécifiquement sur le plan de la réalisation? Y a-t-il une crainte de choquer peut-être?
C’est certain qu’en recevant les scénarios, je me suis dit qu’on touchait à quelque chose d’important, de vrai et qui appartient à notre époque. Évidemment et heureusement, ce n’est pas tout le monde qui va passer à travers ce type de tragédie. Cependant, on ne peut pas faire abstraction d’une fragilité présente chez plusieurs individus en ce moment… Il y a une forme de détresse qui existe et qui se traduit parfois dans des gestes vraiment malheureux. Je dirais que oui, c’est un sujet tragique, mais qu’on a abordé avec beaucoup d’humanité, de lumière, d’empathie. Tenter de comprendre et d’entrer dans la tête des gens qui restent après un tel geste… Bête noire, c’est aussi explorer toute la poussière qui retombe après quelque chose d’explosif.
Comment pourriez-vous décrire votre rapport avec les comédiens plus jeunes qui ont peu ou pas d’expérience de tournage? On a pu voir dans votre réalisation du film Antigone que la justesse des acteurs est marquante! Quel est votre secret?
(Rires) Je pense que le gros de mon travail se passe en casting. D’avoir les «antennes» pour connecter un acteur, qui est non seulement quelqu’un qui performe, mais aussi qui a sa propre énergie, sa propre vibration et son propre désir d’incarner des personnages, avec le bon personnage… Je crois avoir des «antennes» qui vont mener à des choix surprenants et audacieux. Une fois que j’ai fait ces bons mariages, le tournage roule! Après, c’est la confiance qu’il y a entre les comédiens et moi. J’ai confiance en ce qu’ils ont à apporter et ils ont confiance en la direction où je vais les mener. C’est là que ça se passe. Puis, avec un sujet comme celui de Bête noire, il faut prendre soin des acteurs, des scènes et des émotions qui sont transportées.
Avez-vous des habitudes, des rituels ou des superstitions en entamant un tournage?
Oh! (rires) Non… Je pense que, pour moi, c’est de rester sur la fine ligne entre la préparation et l’écoute des instincts. Je peux être très pointue sur la palette de couleurs qu’on va utiliser et comment on va filmer, mais en même temps il faut être disponible sur le moment pour écouter nos instincts.
Un moment marquant ou touchant lors du tournage de Bête noire?
Sur le plan du déploiement, je dirais qu’une tuerie dans une école secondaire, c’est assez ambitieux à déployer en termes de logistiques, de budget, de réalisme – qu’on croit à cette mise en scène… Cependant, il ne faut jamais oublier de rester proche de ce que vivent les personnages dans ce grand déploiement-là. C’était une scène que j’anticipais avec hâte et vertige! Puis, plus vers la fin du tournage, il y a eu un moment vraiment fort sur le plan émotif, une performance livrée par Isabelle Blais. Ce genre de moment où l’actrice livre quelque chose et que la caméra le capte, le lieu, la lumière; tout est là. J’étais derrière le moniteur, je voyais ça se dérouler et j’étais vraiment en sanglots! On finissait la journée de tournage avec cette scène. Tout le monde a réalisé qu’on venait de faire quelque chose, qu’une grande actrice avait offert une scène et que toute l’équipe, autour d’elle, avait travaillé en fonction qu’elle puisse livrer ça. Le montage, jusqu’à la fin, est au service de cette scène. J’ai l’impression qu’on a touché à quelque chose de grand. Wow!